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« Les régimes se succèdent dans notre pays, mais l’impunité demeure » (Aly Sanou du MBDHP)

Dans un contexte sécuritaire dégradé, nombreux sont ces citoyens burkinabè qui ne jouissent plus des droits que leur confèrent les textes du pays. Il n’est donc pas rare de constater des atteintes aux droits des citoyens et des organisations. Contacté par 24heures.bf, Aly Sanou, Secrétaire général du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), expose les principaux actes portant atteinte aux droits humains ces dernières années au Burkina. Il répond sans langue de bois à nos questions.

24heures.bf : La suspension des activités politiques constitue-t-elle une atteinte à la constitution burkinabè ?

Aly Sanou : Il est évident que la suspension des activités politiques constitue une violation des libertés démocratiques dans notre pays dans la mesure où les organisations politiques de façon générale ont un rôle constitutionnel. Notre constitution leur donne un mandat. Suspendre leurs activités, c’est remettre justement en question ce rôle. Nous rappelons qu’après les deux coups d’Etat successifs de janvier et de septembre 2022, la constitution a été rétablie.

Etant donné que la constitution a été rétablie, tous les droits qu’elle garantit pour les individus et les organisations politiques doivent être également respectés, même par la junte. En plus, lorsqu’on rappelle les termes d’un communiqué, un simple communiqué concernant la suspension des activités politiques, pour remettre en cause un droit constitutionnel, cela montre que notre pays a connu un recul grave en termes d’État de droit, de démocratie et de respects des libertés individuelles et collectives. Nous pensons que le MPSR II gagnerait à revoir son fusil d’épaule sur cette question.

De plus en plus de voix s’élèvent pour condamner des exactions contre des citoyens appartenant à la communauté peuhle. Quelle analyse le MBDHP fait-il de cette situation ?

Notre mouvement a toujours condamné les exécutions sommaires et extrajudiciaires depuis des années. Nous avons dit et nous le disons toujours, les exécutions sommaires et extra-judiciaires ne sont pas efficaces dans la lutte contre le terrorisme. Lorsque vous observez un peu la communication de nos autorités sur le plan militaire et sécuritaire, on évoque le succès de nos Forces de Défense et de Sécurité, toujours en termes de terroristes abattus. Mais au bilan, on a toujours beaucoup plus de personnes déplacées internes, on a des pans de plus en plus importants du territoire national qui échappent au contrôle de l’Etat. Donc la question qu’il faut se poser, c’est de savoir si cette manière de faire est la meilleure. 

Nous sommes clairs en disant que face à des bandits armés, la réplique des Forces de défense et de sécurité peut et doit être armée ; cette réplique peut également entraîner mort d’hommes. Mais lorsque des personnes qui ne représentent pas de menaces et ne sont pas armées sont interceptées et que quelques fois, sur la base de simples renseignements, elles sont purement et simplement exécutées, il y a quand même de quoi se poser des questions. 

Donc pour nous, les exécutions sommaires et extrajudiciaires renforcent le sentiment de stigmatisation auprès de certaines communautés, comme par exemple au sein de la communauté peuhle. Si nous voulons maintenir l’unité nationale ou l’unité populaire dans ce contexte de lutte contre le terrorisme, il faut qu’on mette fin aux exactions. Quand on ne met pas fin à celles-ci, lorsqu’on perpétue les exactions, lorsque des communautés entières ont l’impression que sur la simple base de leur appartenance ethnique, leurs vies peut être menacées à tout moment, même quand il n’est pas avéré qu’elles sont complices ou membres de groupes armés terroristes, c’est dangereux pour l’unité nationale.

Le MBDHP avait produit un rapport bien documenté sur des exactions contre des populations civiles dans les localités de Kahin et Bahn. Une affaire qui avait fait grand bruit. Que devient ce dossier ?

Ce rapport avait été publié en mars 2019 pour des faits datant de février 2019. Les autorités avaient dit que des enquêtes étaient en cours. Mais jusqu’aujourd’hui, nous attendons les résultats de ces enquêtes. En plus, nous pensons que même à l’époque, au-delà des enquêtes annoncées par les autorités, il y avait quand même des familles qui avaient saisi la justice. Malheureusement, la saisine par ces familles n’a pas connu la suite qui devrait leur être réservée dans un État de droit. 

C’est la preuve que premièrement, le rapport produit par le MBDHP à l’époque est un rapport juste, malgré la polémique que cela avait créée au sein d’une partie de l’opinion. Ensuite, c’est également la preuve que nos autorités ne sont malheureusement pas enclines à mettre un terme aux exécutions sommaires ou extra-judiciaires. Et nous espérons toujours que les enquêtes qui ont été annoncées à la suite de notre rapport avancent dans le bon sens. Même si je vous le confie, nous ne nous faisons pas d’illusions parce que pour le faire, il faut du courage et de la volonté politique. Et malheureusement, nous ne sommes pas sûrs que sous le MPSR I à l’époque et maintenant sous le MPSR II, le courage et cette volonté politique soient présents.

Quelles sont les suites judiciaires du dossier Yirgou ?

A notre connaissance, il n’y a pas de suite judiciaire. Le dossier n’a pas connu d’évolution fondamentale.  Et c’est ce qui est regrettable parce qu’après les évènements de Yirgou, il y a eu une aggravation de la question sécuritaire dans la région du Centre-Nord. Nous pensons que les massacres de Yirgou y ont contribué en renforçant le sentiment de stigmatisation au sein de certaines communautés et en jetant les membres de ces communautés entre les mains des groupes armés terroristes. 

Nous avons espéré qu’au regard de la gravité des faits, la justice soit rendue. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Je signale que s’il y avait eu justice pour Yirgou, on n’aurait peut-être pas assisté au massacre que l’on a constaté à Nouna le 11 décembre 2022. Donc il faut que pour ces questions qui ont choqué l’opinion et qui ont porté un coup à la cohésion sociale dans notre pays, les autorités judiciaires jouent pleinement leurs rôles. Et c’est de cela que va dépendre, dans tous les cas, le renforcement de la cohésion sociale. 

Et l’affaire relative aux deux représentants de l’Organisation démocratique de la jeunesse tués et dont l’autopsie tardait à être réalisée. Cela a-t-il été fait ?

Non, l’autopsie n’a toujours pas été faite dans la mesure où les autorités clament l’impossibilité de faire une autopsie. Il faut voir dans l’action de l’ODJ (Organisation démocratique de la jeunesse – Ndlr), des familles des victimes et d’organisations comme le MBDHP autour de cette question, la volonté que la justice aille jusqu’à son terme dans cette affaire. 

Si les autorités nous disent que l’autopsie n’est pas possible, elles ont l’obligation de dire quel autre acte judiciaire, elles pensent possible, qui devrait être posé et qu’elles ont effectivement posé. On ne peut pas prendre pour prétexte l’impossibilité d’une autopsie pour ne plus poser d’actes. Est-ce qu’il y a eu des examens balistiques ? Est-ce qu’on a cherché à auditionner des témoins ? Est-ce qu’on a posé des actes d’enquête concrets afin de savoir ce qui est arrivé à ces deux jeunes ? Rien ! Mais en même temps, c’est la preuve que les régimes se succèdent dans notre pays, mais l’impunité demeure. Et c’est vraiment dommage.

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