D’importants fonds ont été compromis au ministère de l’Action humanitaire. Mais le principal prévenu, Hamidou Tiégnan, qui avait en charge la gestion d’un compte Trésor, en parle comme s’il s’agissait d’une affaire banale. L’audience de ce 9 décembre au Tribunal de grande instance Ouaga 1 révèle que des fonds publics ont été utilisés à des fins personnelles, en produisant du faux et en faisant usage de faux. Et tout porte à croire que le principal prévenu, qui reconnait une bonne partie des charges, semble ne pas vouloir « tomber » seul s’il devait l’être.
Sans détour, Hamidou Tiégnan affirme au tribunal que l’argent détourné à servi à « beaucoup » de dépenses : « J’ai eu à payer des véhicules, des parcelles et j’ai construit ». Il estime les fonds détournés dont il a personnellement bénéficié à environ 900 millions FCFA. Près d’un milliard de francs CFA aurait également profité à l’un de ses supérieurs, chef du service financier. Un véhicule a également été acheté pour l’une de ses collègues. Là aussi, il s’agit de fonds de l’Etat, dérivés de chèques Trésor. Selon Hamidou Tiegnan, les ressources financières détournées dont il a connaissance sont estimées à 1, 8 milliard FCFA. Le parquet, lui, avait estimé, au début du procès, les fonds détournés à plus de 3 milliards FCFA.
Tiegnan affirme que son supérieur hiérarchique serait au courant de tout cela. Certains chèques « étaient destinés à des activités du ministère mais nous les avons déviés pour autre chose. Il pouvait arriver que les signataires des chèques signent des chèques qu’ils laissent. Nous les utilisons à d’autres fins », a-t-il affirmé.
Il dit avoir également imité des signatures dans le but de se faire du fric. Il s’est d’abord exercé à les reproduire jusqu’à le faire à la perfection. A l’arrivée de Yé Camille, l’un de ses supérieurs chargé des questions financières, « on a bien échangé dans son bureau et je lui fais savoir mes compétences ».
« Vous lui avez donc dit que vous avez compétence à imiter les signatures ? », lui demande le parquet. « Oui, je lui ai expliqué », répond l’accusé.
Et tout se passait dans un cercle restreint, à l’image d’un réseau, jusqu’à ce que le pot aux roses soit découvert.
Selon Tiégnan, les dépenses effectuées n’étaient pas justifiées. Pas la peine de se triturer les méninges pour trouver des justificatifs. « Vous utilisiez donc les fonds advienne que pourra ? », lance le président du tribunal. « Oui », répond, sans détour, l’accusé.
On aurait pourtant pu éviter cette hémorragie financière. En effet, au regard de certaines pratiques illicites, le rapport 2020-2021 de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de Lutte contre la corruption (ASCE/LC) « avait demandé de m’enlever de mon poste », déclare M. Tiégnan. Mais comme il rendait service à certains de ses supérieurs, par des imitations de signatures, sources de « fonds à se partager », il a été reconduit, dit-il, à son poste de gestionnaire de compte. « Je ne suis qu’un exécutant », affirme-t-il. Une façon de dire qu’il ne devrait pas « tomber seul » s’il devait l’être.
« Pensez-vous que c’est normal que vous et votre chef puissiez signer des chèques puis vous partager » les fonds, lui lance le procureur. « Non, ce n’est pas normal », répond l’accusé. Et le procureur de revenir à la charge. En lui signifiant notamment qu’un « chèque émis dans des conditions pareilles est un chèque faux ». « Oui, oui », reconnait Hamidou Tiégnan.
L’affaire est visiblement grave. Et des têtes risquent de tomber. Cette première audience « au fond » a permis de mettre au grand jour certains « bonnets » tapis dans l’ombre. Le dossier est en train d’être éplucher, à l’image d’un rouleau compresseur. Le tribunal a demandé au parquet de faire comparaitre demain, 10 décembre, le chef chargé du dépôt des fonds, Issa Sagnon, et un autre collègue, M. Lankouandé, qui semblent, tous, bien au parfum de certains faits.