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Éventuel retrait du Burkina de la CEDEAO : Des citoyens s’expriment

Depuis le coup d’État du 26 juillet au Niger qui a renversé le Président Mohamed Bazoum, la CEDEAO et certains de ses partenaires font toujours planer la menace d’une intervention militaire afin de « restaurer le pouvoir » du Président déchu comme c’était le cas en Sierra-Leone en 1997. Samedi dernier, le Burkina, le Mali et le Niger ont signé la Charte de l’Alliance des États du Sahel (AES), un accord qui met essentiellement l’accent sur les questions sécuritaires. La mise en place du « G3 » intervient dans un contexte où le Burkina et le Mali, solidaires des autorités militaires nigériennes, menacent de quitter la CEDEAO en cas d’intervention armée de l’instance sous-régionale au Niger. Pour les deux voisins du Niger, toute intervention militaire contre le Niger est aussi une déclaration de guerre contre eux.

‘’Êtes-vous pour ou contre un retrait du Burkina de la CEDEAO en cas d’intervention militaire au Niger ?’’  24heures.bf a  recueilli l’avis de citoyens burkinabè.

Joachim Zongo, technicien à la RTB-radio est ferme. « Si une intervention de la Cédéao se confirme au Niger, il n’y a pas de débat là-dessus. Le Burkina doit se retirer de cette institution. »

Joakim Zongo, technicien à la RTB

 Pour lui, la Cédéao « ressemble plus à une branche armée de la France qu’à une instance régionale ».

« Je ne vois pas pourquoi à cause des intérêts français, des militaires vont attaquer un pays voisin et nous allons rester indifférents. Quand vous observez ce qui se passe en France et le comportement de certains chefs d’Etat de la Cédéao, vous comprenez que la France protège ses intérêts à travers la Cédéao. Alors que nous avons aussi nos intérêts », argue-t-il avant de conclure : « Si la Cédéao attaque le Niger, tous les pays doivent prendre leurs responsabilités et quitter la Cédéao. Peu importent les conséquences d’un retrait de la Cédéao ; je pense qu’il faut s’affirmer ; dès lors qu’on décide de quitter, on prend ses responsabilités ».

Cet avis est partagé par Hamed Kaboré, étudiant en 6ème année de médecine à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Pour lui, « la base de toute union est de résoudre des problèmes. Mais si on est dans une communauté qui n’arrive pas à résoudre les problèmes, je ne vois pas l’intérêt d’y rester. Je ne vois pas l’intérêt d’être dans une communauté si elle n’apporte pas de solutions concrètes aux problèmes ».

Selon lui, un retrait du Burkina en cas d’intervention militaire au Niger est ‘’entièrement justifiée du moment où cette guerre n’a pas de fondement’’.

Il pense que la Cédéao aurait dû travailler à résoudre les problèmes qui ont conduit aux coups d’Etat. C’est le contexte sécuritaire qui est à la base des coups d’Etat, dit-il.

« Il n’y a pas d’avantage pour le Burkina de sortir de la Cédéao mais je ne vois pas aussi l’avantage d’y rester, car la Cédéao n’arrive pas à remédier les problèmes auxquels font face ses membres. S’il y avait des mesures efficaces entreprises par la Cédéao face à l’insécurité, on n’en serait pas là », conclut-il.  

Même son de cloche chez Abdoul Rahamani Nikiema. « C’est parce que les pays de la sous-région, y compris le Burkina Faso, ont laissé le Mali seul face au terrorisme que le mal s’est généralisé ».

Pour cet ingénieur en recherche, fonctionnaire de son état, « ce manque de solidarité sous-régionale a conduit le Mali à faire appel à la France et on connaît la suite ».

Abdoul Nikiema a beaucoup de charges contre la Cédéao.

« Depuis que le Burkina Faso et le Niger sont confrontés au terrorisme, en plus du Mali, dans la sous-région, nous n’avons vu ni entendu que la CEDEAO a levé une armée pour aider ces pays qui font face au terrorisme avec des moyens souvent modestes », déclare-t-il avant de relever qu’il existe « une implication, voire des instructions de la France dans la prise de décision de la CEDEAO ».

« L’esprit reste le même : diviser pour mieux régner. Sinon, comment comprendre cette implication de la France dans un pays dit indépendant ? », s’interroge Abdoul Nikiema qui salue, au passage, la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES). Il le décrit comme un « tremplin pour mutualiser les efforts, informations et stratégies afin de contrer les assauts des terroristes ».

Soufflant dans la même trompète, Assamadou Guiré, administrateur adjoint de la Société burkinabè de géopolitique (SBG) pense que les peuples burkinabè et nigériens ont compris l’importance de la solidarité et de l’unité d’actions dans la lutte contre l’insécurité.

Pour lui, assister, de manière passive, à une intervention militaire au Niger fera répéter l’histoire de l’intervention de l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN) en Libye qui, selon lui, a déstabilisé la sous-région sahélienne.

Assamadou Guiré, acteur de la Société civile

Pour Assamadou Guiré, également chargé de l’idéologie, de la planification et de la formation du Club des jeunes pour la promotion de la coopération sino-burkinabè, la posture du Burkina et du Mali est stratégique et vise à dissuader la Cédéao d’une intervention au Niger.

« Ce qui pourrait justifier une sortie du Burkina de la Cédéao est la recherche de l’intérêt primordial. La raison d’existence de l’Etat burkinabè est la protection des intérêts du peuple burkinabè. Une intervention de la Cédéao au Niger qui entraînerait le chaos, une situation de désordre dans la sous-région, cela suppose que cette intervention remet en cause les intérêts du peuple burkinabè. Comment collaborer avec des organisations qui menacent vos propres intérêts ? », s’interroge-t-il. 

Guiré reconnaît cependant qu’un retrait du Burkina de la Cédéao « aura des conséquences énormes pour le peuple burkinabè ».

Mais pour lui, cela en vaut la peine et sera même, selon ses termes, « le début d’une nouvelle ère qui sera meilleure ». 

« L’histoire des grands peuples, l’histoire des grandes civilisations est l’histoire des douleurs et des sacrifices. Si la Cédéao intervient aujourd’hui militairement au Niger, et que le Burkina et le Mali se retirent définitivement de la Cédéao, nous aurons des répercussions au niveau économique, social, politique et militaire », indique-t-il.

Pour lui, le Burkina, le Mali et le Niger peuvent se retirer de la Cédéao pour créer leur propre Cédéao et cette institution sera, selon lui, « la meilleure, la vraie Cédéao, la Cédéao des peuples, celle qui ne reste pas silencieuse face aux modifications des Constitutions, aux troisièmes mandats, qui répond aux aspirations des peuples, et à partir de laquelle une révolution africaine naîtra ».

Hélène Sebogo, elle, ne voit pas les choses de la même manière.

Cette journaliste de la RTB est contre un retrait du Burkina Faso de la Cédéao.

« Je suis convaincue qu’on est fort ensemble ; on est fort lorsqu’on est uni. L’Afrique gagnerait à créer de grands ensembles comme la Cédéao ou la CEMAC pour sortir de la pauvreté », affirme-t-elle.

Pour elle, la Cédéao est une force pour les Etats ouest-africains et la différence des visions ne doit pas conduire à un retrait de l’institution.

Elle prend en exemple l’Union européenne où, selon elle, les pays membres n’ont pas forcément la même vision.

Hélène Sebogo, journaliste à la RTB

« Entre la France et l’Allemagne, il y a souvent des guéguerres mais ce n’est pas pour autant qu’ils vont sortir de l’UE », défend-elle.

Concernant les conséquences d’un retrait du Burkina de la Cédéao, Hélène Sebogo relève des problèmes d’ordre économique et social dans l’avenir.

« Le Burkina partage une grande partie de ses frontières avec des pays de la Cédéao, notamment la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin, le Ghana qui ont une ouverture sur la mer. Les pays qui ont accès à la mer sont d’un apport très significatif pour l’économie, pour le développement et même pour la survie ; car la majorité des produits que nous consommons arrive via les ports de ces pays. Sur le plan économique, un retrait du Burkina aura un impact sur le développement de notre économie. En plus de cela, le Burkina a beaucoup de ressortissants en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Ghana, au Togo, et un retrait du Burkina de la Cédéao aura des conséquences dans les relations entre populations sœurs. Ce sont des éléments à prendre en considération », déclare-t-elle.

Toutefois, Hélène Sebogo ne partage pas les décisions de la Cédéao contre le Niger.

Pour elle, c’est du deux poids deux mesures.

« Il y a eu des coups d’Etat anticonstitutionnels un peu partout dans l’espace Cédéao mais cette organisation n’est pas intervenue militairement. En plus de cela, le terrorisme est un problème qui sévit au Sahel, dans la zone des trois frontières depuis plusieurs années. Mais la Cédéao ne s’est pas mobilisée autour de ces pays en proie à ce phénomène », fait-elle remarquer. 

« Pourquoi le coup d’Etat au Niger fait couler beaucoup d’encre et de salive, notamment au sein de la Cédéao ? », s’interroge Hélène Sebogo qui invite à chercher la réponse dans les causes historiques, économiques et géopolitiques.

Mais, pour la journaliste, ces raisons ne justifient pas que le Burkina se retire de la Cédéao dont l’une des missions est de promouvoir l’intégration, la coopération et surtout de créer une union économique et monétaire ouest-africaine.

Elle reste également convaincue qu’il n’y aura pas d’intervention au Niger car, pour elle, « ce sont des pics que les pays se lancent, de parts et d’autres ; ce sont des rapports de force, chacun voulant instaurer son point de vue ».

Elle salue de passage la création de l’AES. Mais pour elle, cette structure ne remplace pas la Cédéao.

Pour rappel, le gouvernement burkinabè a approuvé, fin août 2023, un projet de loi autorisant l’envoi d’un contingent militaire au Niger, pays sous menace d’une intervention de la Cédéao depuis le putsch qui a évincé le président Mohamed Bazoum du pouvoir.

Cette décision du gouvernement burkinabè a eu le quitus de l’Assemblée législative de la Transition le 19 septembre 2023. 

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