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Burkina Faso : Mam Sank, les mets locaux et les réseaux sociaux 

Dans le quartier Patte-d’oie de la ville de Ouagadougou, un restaurant se distingue par le type de mets qu’il sert à ses clients. Il est spécialisé dans les mets locaux. Le restaurant « Mam Sank » a une stratégie de communication digitale. Cela lui permet de drainer un nombre important de ses abonnés des réseaux sociaux vers le restaurant. Alors que le Burkina Faso célèbre en ce mois d’octobre, les produits locaux, 24heures.bf s’est rendu au restaurant « Chez Mam Sank » qui porte le pseudonyme de son promoteur. 

Mardi 24 octobre 2023. Il est 9h lorsque nous arrivons au restaurant Mam Sank. Ici, tout le monde est occupé. D’un côté, la promotrice et ses cuisinières s’activent pour le menu du jour. De l’autre, le service de comptabilité reçoit les commandes des clients. Il n’y a pas de temps à perdre.

Quelques minutes plus tard, Mariam Sankara, promotrice du restaurant, nous accueille, tenant un plat de tô (repas à base de petit mil) à la sauce boulvaka, un mets local.

Au restaurant Mam Sank, on trouve du gonré, du gnon, du babenda, du tô de petit mil à la sauce boulvaka, du benga, du riz gras au soumbala, du gonré accompagné de koumvado.

Un plat de gnon au poisson carpe

Mais aussi du tô à la sauce de koumvado, du benga au couscous, de la soupe de viande de bœuf ou de chèvre, du zamnè, du souma, du piguiri ou couscous de petit mil…

Les débuts de Mam Sank 

Le restaurant a ouvert ses portes dans le quartier en novembre 2017. La promotrice, elle, est dans l’entrepreneuriat depuis plus de 10 ans. Elle dit avoir commencé par d’autres petites affaires.

Du tô à la sauce koumvado

« J’ai passé plus de 10 ans dans l’entrepreneuriat; j’ai commencé par une petite boutique lorsque j’étais en deuxième année BEP. Après mon BEP en administration commerciale et comptabilité, je suis allée passer le baccalauréat. J’ai ouvert ma petite boutique en 2010. En 2012, j’ai ouvert une boutique de cosmétiques où je vendais des mèches et des produits de beauté. J’ai remarqué que cela ne marchait pas; j’ai abandonné l’école pendant une année après avoir passé le baccalauréat en candidate libre. J’ai ouvert ensuite un petit kiosque », confie Mam Sank.

Elle a obtenu une licence en comptabilité, en suivant des cours les soirs. Les frais de scolarité ont été payés avec l’argent obtenu grâce à ses petites affaires. Elle arrête ses études après sa licence.

«J’ai alors pris l’initiative de m’investir plus dans mon business. Étant étudiants, beaucoup veulent travailler dans les bureaux, mais si tu n’y parviens pas, il faut trouver autre chose à faire. J’ai effectué des stages; j’ai couru partout; ça n’a pas marché. Aujourd’hui, j’ai créé ma propre affaire », rappelle-t-elle avant d’ajouter que « mon neveu travaille ici comme directeur des affaires financières (DAF). Il a une licence en économie. C’est lui qui gère la comptabilité».

Faire comme maman 

«J’ai choisi d’embrasser ce domaine parce que quand on est jeune, il y a ce que les parents nous donnent comme patrimoine; il y a également les habitudes des parents qu’on veut imiter. Lorsque les parents t’initient à certains comportements, tu as l’impression que c’est facile. Mais en grandissant, tu te rends compte que la donne change», explique-t-elle.

Cette volonté de reproduire les actions de sa mère va plus tard devenir une passion pour Mariam Sankara. Elle décide de s’y investir. Pleinement !

L’entrée au restaurant Mam Sank

« La restauration est née d’une passion. J’aime faire la cuisine. L’idée m’est venue de valoriser plus les mets locaux. C’est ce que ma mère préparait pour les cérémonies. Les clients lançaient des commandes avec elle. Comme toute petite fille, j’avais le visage serré au début parce qu’il y a des travaux à faire à la maison. Et au fur et à mesure, j’ai donné de la valeur aux mets locaux, surtout les week-ends. Et lorsque je me suis installée ici, j’ai décidé de le faire tous les jours», confie-t-elle.

Allier business et social

Le maquis resto « Mam Sank », au-delà du business, fait du social. Il arrive que le restaurant offre de la nourriture aux nécessiteux. Cette valeur qu’est le partage, la promotrice affirme l’avoir apprise de ses géniteurs mais aussi de par son expérience d’enfant orphelin.

Du gonré accompagné de koumvado

« Il y a des valeurs que les parents inculquent. Chez nous en famille, on pouvait retrouver près de 20 personnes alors que la famille elle-même ne dépasse pas 5 personnes. Les autres sont des enfants venus d’ailleurs, ceux des voisins. Lorsque la marmite est au feu, c’est pour tout le monde. Et même si tu es enfant de la famille, si tu ne fais pas attention, tu n’auras pas de nourriture. En effet, si tu n’es pas présent au moment du repas, tu viendras trouver des plats vides», raconte Mariam Sankara.

De cette situation, la jeune fille retient une leçon : « J’ai compris que dans la vie, plus tu donnes, plus tu gagnes. On n’a pas besoin d’avoir beaucoup pour donner; le peu que tu as, partage-le avec les autres. Je suis orpheline, j’ai été adoptée. Si quelqu’un a eu l’audace de t’adopter, de s’occuper de toi comme son enfant, à ton tour, même si tu n’as pas adopté d’enfant, tu peux faire preuve d’amour ».

Le restaurant Mam Sank fait également du marketing social. Cela consiste, entre autres, en la remise de bons de consommation aux clients fidèles. Elle organise aussi des jeux sur sa page Facebook, permettant aux gagnants d’être récompensés. « C’est du donner et du recevoir », dit-elle. Car cela lui permet d’obtenir plus de clients et de les fidéliser.

Entre business et humour

Pour Mariam Sankara, la vie n’est pas seulement faite de sérieux.

Du tô à la sauce de boulvaka

« L’humour doit s’imposer dans la vie quotidienne», confie-t-elle. Dans cette optique, l’entreprise a fait du réseau social Facebook, un moyen de positionnement stratégique.

Le profil Mam Sank est suivi par plus de 60 000 personnes. Sur cette plateforme, la promotrice du restaurant allie business et humour.

« Plusieurs personnes sont sur notre profil parce qu’elles veulent rire, avoir de la motivation. Quand Mam Sank publie, le matin, un message sur sa page, même un simple « bonne journée », « ou quand je publie un petit truc pour attirer l’attention des gens, j’ai toujours des retours du genre « Mam Sank, j’attendais juste ton message de motivation du matin »; « Mam Sank, tu m’a donné du tonus ». Hier par exemple, j’ai fait un post dans lequel j’ai dit : » Pourquoi tu veux abandonner ? Pourquoi penses-tu que c’est difficile ? S’il existe un moment pour pleurer parce que la situation est compliquée, pleure. Mais ne baisse pas les bras ». Nous pleurons tous souvent mais nous ne voulons pas présenter ce visage sur nos profils; cela va décourager beaucoup de gens qui pensent qu’à travers nous, elles peuvent aller aussi de l’avant. Mais plus tu pleurniches, plus tu te dis que ça ne va pas, tu démotives beaucoup de personnes. Ce n’est pas ça l’objectif », explique-t-elle.

Un plat mixte: du soumou, du koumvado, du gamnè, du gnon, du benga et du gonré

La communication digitale demande, selon elle, un moral au top car « cela peut basculer à cause d’une petite erreur; il faut faire attention aux mots qu’on emploie. La manière de me comporter avec ces personnes les motive à se rendre dans le restaurant. Quand tu les considère, ils te le rendent bien. Je le dis, haut et fort, tout le monde a participé à construire Mam Sank; elle ne s’est pas faite seule. J’ai adopté une manière de vivre, et cela a conduit des personnes comme Alino Faso, Daouda Toé, Mdi Ouédraogo et bien d’autres à faire de moi ce que je suis. Chaque fois que je fais une publication, les internautes la partagent. Cela me donne du tonus pour continuer mon travail. Ces personnes ne partagent pas la publication parce qu’elles te connaissent nécessairement; elles le font parce qu’elles perçoivent du sérieux et de l’engagement dans ton travail. C’est ainsi, la vie !», explique-t-elle.

Pour Mariam Sankara, la vie est une question d’organisation.

«Je n’ai plus droit à l’erreur. Il est donc nécessaire pour moi d’organiser ma vie afin de ne pas créer de confusion. Il y a la vie sociale, la vie sur les réseaux sociaux. On y est du matin au soir. Mais il y a aussi la vie concernant le business. Les réseaux sociaux sont à part. Lorsqu’une personne arrive au restaurant, elle devient un client et, à ce titre, elle a tous les droits. Le client est mon patron. S’il ne vient pas, je n’aurai rien comme argent. En dehors des réseaux sociaux, mes abonnés sont mes clients et je dois les respecter convenablement », affirme-t-elle.

Motivation

Mariam Sankara a l’habitude de partager via ses plateformes de communication, des messages d’encouragement pour inciter à la persévérance.

« Au Burkina Faso aujourd’hui, beaucoup de gens veulent abandonner. Du fait de la situation sécuritaire, les affaires sont en train de sombrer; beaucoup de gens sont découragés. Je demande à mes frères et sœurs Burkinabè de ne pas lâcher prise. Nous sommes au bout de l’effort; nous sommes en train de franchir les portes de la victoire », dit-elle avec conviction.

La situation sécuritaire s’est fait ressentir au restaurant Mam Sank. Elle « a engendré une morosité dans l’économie, on essaie de joindre les deux bouts. Certains clients font moins d’achats. Malgré tout, ils viennent. Je suis reconnaissante à Dieu», dit-elle.

« Je demande à mes frères et sœurs de ne pas abandonner (…) Je me suis faite à travers les réseaux sociaux; j’invite les jeunes à ne pas avoir honte de faire prospérer leur business sur les réseaux sociaux; il n’y a pas de honte à vendre ses produits », lance-t-elle.

Défis

Le restaurant offre le service sur place. Il est aussi possible de se faire livrer chez soi. Pour Mariam Sankara, investir dans un restaurant typiquement burkinabè est un risque. « Il faut s’investir pleinement. C’est de cette manière qu’évolue Mam Sank ».

« Au début, quand je disais aux gens que je vendais du gonré ou du koumvado, ils riaient. Mais aujourd’hui, ces personnes me prennent au sérieux. Beaucoup s’attendaient à voir une vieille dame; mais ils sont étonnés de voir une jeune dame », déclare Mariam Sankara. Une façon de dire qu’elle est prête à relever les défis.

Du benga au couscous

Le restaurant Mam Sank emploie aujourd’hui 18 personnes.

Perspectives

Le restaurant envisage d’être dans un nouveau local qui sera, selon la promotrice, disponible d’ici à 2024. « Vous allez bientôt manger le gonré dans une salle climatisée, dans un cadre idéal. Vous n’aurez pas honte d’amener vos partenaires d’affaires pour manger les mets locaux. Il y a eu un moment où ces mets étaient vus comme des mets destinés aux personnes pauvres. Mais aujourd’hui, je vois que les Burkinabè ont compris que le ‘’Consommons local’’ n’est pas juste pour du business. C’est pour la santé d’abord. Ce sont des mets n’engendrent pas de problème lié à l’hygiène lorsqu’on les traite bien. Je m’évertue à donner le meilleur de moi; je mets un accent particulier sur l’hygiène », rassure-t-elle.

Depuis 2022, le restaurant dispose d’un champ de haricot de près de 2 hectares. La promotrice compte y pratiquer également des cultures de contre-saison.

Elle envisage aussi d’apprendre l’anglais afin de mieux satisfaire ses clients anglophones.

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Des clients parlent

Salifou Ilboudo fréquente ce restaurant depuis deux ans. Il s’y rend deux ou trois fois par semaine. Le type de mets servis, l’hygiène du cadre et le dynamisme du personnel sont, entre autres, les raisons qui le motivent à s’y rendre.

« Le restaurant a un menu varié, 100% local. Comme dans nos foyers, nous n’avons pas toujours des mets locaux, quand nous avons envie d’en manger, le restaurant Mam Sank est l’adresse par excellence pour la gastronomie locale », confie-t-il.

À la différence de Salifou Ilboudo, fidèle client du restaurant, la jeune Balou Sama y est pour la première fois. Elle a commandé du tô à la sauce koumvado accompagné de carpe. « Je suis vraiment satisfaite du plat que j’ai commandé, j’ai adoré », déclare-t-elle.

……

Ils ont « aidé Mam Sank à construire son image numérique »

Mahamadi Ouédraogo dit Mdi Ouédraogo est influenceur sur le web. Également maître de cérémonie.

Pour lui, « les réseaux sociaux constituent un tremplin pour s’entraider, se construire ensemble et partager notre idéal d’un Burkina Faso solidaire. Je n’ai donc pas hésité à commenter, à partager et à faire des posts sur Mam Sank ».

Il se souvient avoir réalisé en 2020, un reportage sur le restaurant Mam Sank. Il était alors journaliste pour le compte de Agribusiness TV, une web télévision consacrée à l’entrepreneuriat des jeunes.

« Ce reportage a connu un franc succès et je suis heureux de savoir que cela a contribué à accroître sa visibilité. C’est une dame dont le parcours est très édifiant. Elle est passée par de nombreuses épreuves mais elle n’a jamais abandonné son rêve d’être autonome », confie Mdi Ouédraogo.

Si la promotrice du restaurant a pu conquérir le cœur de Mdi Ouédraogo, l’engagement de la jeune dame pour le travail bien fait en est pour quelque chose.

Mahamadi Ouédraogo :  » Je suis fier d’avoir été utile »

« De nature, j’aime les bosseurs et j’encourage comme je peux. Je suis heureux de savoir qu’elle me cite parmi les personnes qui lui ont été utiles », se réjouit-il.

Alain Traoré dit Alino Faso, Daouda Toé et plusieurs autres personnes apportent aussi, régulièrement, leur soutien à la jeune dame.

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