Société et Culture

Burkina Faso/Caricatures : les passions dangereuses de Damien Glez

Damien Glez, dessinateur de presse, scénariste de série télévisée, auteur et parolier, est un personnage bien connu dans l’univers de la presse en matière de satire, notamment à travers ses caricatures. Homme aux multiples casquettes, il arrive, à l’aide d’un pinceau, d’un crayon ou d’un stylo, à embarquer ses lecteurs dans son imaginaire satirique, parfois critique.  Cette passion pour le dessin combinée à celle de l’actualité est née dès son jeune âge, qu’il a su peaufiner avec la pratique. Durant son parcours, il est devenu une référence en matière de satire, une popularité qui lui a valu des reconnaissances, mais aussi des menaces de mort. Aujourd’hui, avec le contexte sécuritaire, l’homme doit retravailler son art afin de contribuer à la dynamique gouvernementale, celle de préserver le moral des troupes qui se battent chaque jour contre les forces du mal, au prix de leur vie. 

Le dessin de presse vu par Damien Glez est une accroche dans le monde de la presse. Il est le contenu journalistique le plus facile d’accès, notamment dans des pays où les programmes d’alphabétisation se déroulent en langue étrangère. Autrement dit, c’est « un poil à gratter » car il permet, à travers la partie satirique, d’offrir un contrepoint aux personnes puissantes, aux gouvernants, de les remettre parfois à leur place et puis de mettre un peu d’humour et de déminer un peu les situations tendues.

Âgé de 55 ans, le Franco-Burkinabè totalise plus de trente ans de carrière au niveau national et international. Du « Journal du Jeudi » au « Courrier international », en passant par « Jeune Afrique », « Rolling Stone » et « World Policy Journal », il a su tirer profit de l’habileté de ses doigts. Ce qui lui a valu de nombreuses reconnaissances, notamment au festival BDFarafina du Mali, à la Premios Muestra Internacional de Humor Gráfico de FECO Argentina, au Salon international du livre et de la presse de Genève 2006, à la Cartoon/caricature Competition de Banja Luka (Bosnie-Herzégovine, 2008), à la Hadaf Somalia International Cartoon Competition en 2011. 

Néanmoins, pour atteindre ce niveau, Damien Glez a dû faire face à certaines contraintes. Il s’agit des tabous et des contraintes d’ordre financières selon les pays. « On peut dire que le dessinateur est pris un peu dans un étau entre deux pressions qui sont la pression parfois politique qui est différente selon les pays et la pression économique« , a-t-il signifié.

Une riche carrière sur fond de menaces de mort 

Damien Glez connaît un brillant parcours. Mais comme il faut s’y attendre, les difficultés ne manquent pas. La raison, la satire ne passe pas partout. Si l’humour est adopté par les Burkinabè, il n’en est pas pour autant de la satire dans certains pays. L’homme se souvient de la date du 28 janvier 2016, où des membres de la fraternité des Mourides (Sénégal) avaient appelé à la mort de celui qui avait eu l’audace de faire une représentation de leur Chef.

« Ma mort même a été annoncée sur les réseaux sociaux ; on a dit que j’étais mort ; il y a même eu un visuel de la voiture dans laquelle j’étais soi-disant mort dans un accident… ça a pris une dimension assez importante« , explique Damien Glez. Bien avant ce jour, raconte-t-il, j’ai fait face à des menaces d’incarcération au Maroc après un dessin du roi pour le journal « Le Monde« . « Il est interdit de dessiner le Roi étant donné qu’il a un lien de parenté avec le Prophète Mohamed« . 

Damien Glez a connu les mêmes déboires en Tunisie avec l’ancien président Ben Ali et au Zimbabwe avec le dictateur Robert Mugabé. Sous le régime de Blaise Compaoré au Burkina Faso, il a été confronté à des menaces d’emprisonnement pour une accusation de « manque de respect au chef de l’Etat » à travers un dessin particulier où il a évoqué les morts un peu violentes sous ledit régime Compaoré.

Glez, l’extraterrestre !

Bien que casanier, Damien Glez a su s’entourer de personnes de son domaine dont Boubacar Diallo, réalisateur et ancien fondateur du « Journal du Jeudi » (JJ) et Hamidou Idogo, l’ancien rédacteur en chef. Éblouie par les dessins de Glez, Boubacar Diallo l’intègre à l’équipe du JJ en 1992 après son service national français au Petit séminaire de Pabré. De là est née une collaboration qui non seulement a permis de donner à JJ sa renommée, mais aussi qui s’est renforcée au fil des années. « Damien Glez est un extraterrestre, c’est quelqu’un qui est hors du commun, qui est sans histoire et qui ne parle pas beaucoup, surtout dans un cadre qui n’est pas privé« , confie Boubacar Diallo sur le caricaturiste.

Boubacar Diallo

Disponible, discret et travailleur, Glez est un homme sans problème selon Hamidou Idogo, ancien Rédacteur en chef du «dromadaire» et actuel fondateur du journal en ligne « Les Echos du Faso« . Au cours des 20 années de collaboration, Hamidou Idogo a souligné que celle-ci a été très cordiale, car il était difficile de savoir qui est le patron. « Nous nous tutoyions, nous mangions ensemble dans le même plat, car le déjeuner était offert par le Journal. Je ne l’ai jamais vu non plus en bisbilles avec un collègue ou un collaborateur. Vous pouvez le leur demander (même si vous ne les connaissez pas !). Nous nous sommes demandés entre nous, ses subalternes, si ce monsieur avait un cœur ! La mine toujours joviale, il était à l’écoute et prêt à aider« , relate l’ancien rédacteur en chef.

Hamidou Idogo

« La situation sécuritaire n’a pas d’impact concret sur mes dessins », Damien Glez

Depuis 2015, le Burkina Faso est en proie au terrorisme, accentué par des discours haineux. A cette situation qui oblige les journalistes à raccorder leurs violons pour ne pas affecter le moral des troupes, le dessinateur de presse n’est pas en reste. 

« Il y a une invitation aux journalistes de ne pas écrire ou dessiner quelque chose qui pourrait aller à l’encontre du bon moral des troupes au nom d’une mobilisation générale de la Nation derrière la cause ; il ne faudrait plus critiquer en quelque sorte les Forces armées et le régime. Et tout cela est relayé par certains mouvements associatifs que l’on voit qui se disent donc panafricains, qui ont des discours assez radicaux« , explique-t-il. 

Cependant, beaucoup de questions se posent. Le journaliste est censé avoir du recul par rapport à ce genre de situation. Mais contrairement aux journalistes de terrain, Glez confie que cette situation n’impacte pas vraiment son travail, même s’il doit retravailler l’angle de ses dessins par rapport aux évènements actuels. 

« L’enlèvement de femmes dans le Sahel montre l’ampleur des dégâts que peuvent provoquer les terroristes, l’aisance qu’ils peuvent avoir à évoluer dans certaines zones. Car c’est très facile de tuer cinquante personnes en deux minutes, mais enlever 50 personnes, cela suppose qu’il y a eu une intervention plus longue et symboliquement, c’est une nouvelle forme d’action qui est effrayante…« , explique Damien Glez qui reste convaincu que le dessin de presse, quel que soit le contexte, doit contribuer à nourrir la réflexion ou, du moins, la provoquer.

« Solidarité et mobilisation, des armes efficaces contre le terrorisme »

Pour venir à bout de cette crise, Damien Glez souligne la nécessité d’une mobilisation de tous, un discours de solidarité. « La solution, c’est de garder d’abord une solidarité ; il y a un appel à la solidarité qui a été lancé notamment par les autorités, un appel à là la mobilisation générale, notamment les Volontaires pour la défense de la patrie. Le fait de prendre les armes peut aboutir à une forme de solidarité qui est tout à fait intéressante et qui peut aller dans le bon sens et aussi dans le sens du discours anti-endoctrinement« .

Sur le plan sécuritaire pur, selon le dessinateur de presse, il faudrait espérer qu’il y ait une combinaison des forces internationales, par exemple une force multinationale de la CEDEAO. Quant à la supposée présence du groupe Wagner, il demande au gouvernement de faire preuve de grande clarté afin de situer le peuple burkinabè sur la nature des relations entre les mercenaires ou l’État russe. Mais dès lors, il se réjouit des avancées de l’armée, notamment la reconquête de Solenzo.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page