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Audit du Parlement : “les gens ont peur parce qu’ils savent qu’ils ont commis des fautes” (Sagado Nacanabo)

Dans un entretien accordé à 24heures.bf, Sagado Nacanabo, Secrétaire exécutif du Réseau National de lutte anti-corruption (REN-LAC), donne sa lecture sur les irrégularités révélées par l’audit réalisé par l’Autorité supérieure de contrôle de l’État et de lutte contre la corruption (ASCE-LC). Pour cet acteur de la société civile, les contestations qui ont précédé la mission d’audit à l’Assemblée Nationale cachent probablement des fautes de gestion. 

24heures.bf : Vous avez certainement suivi l’actualité sur l’audit de l’Assemblée nationale et la réaction des avocats du président du parlement au moment des faits, Alassane Bala Sakandé. Quelle est votre lecture de la situation ?

Sagado Nacanabo : Merci beaucoup à 24heures.bf de nous donner l’occasion de nous exprimer sur cette question qui défraie la chronique. Pour nous, un audit, à priori, est une bonne chose dans le fonctionnement d’une structure qui veut en tout cas des résultats et qui veut la transparence, de surcroît dans une structure publique où il y a un financement public qui a été octroyé. Nous pensons que  l’audit est par principe une bonne chose qui permet de voir si les ressources ont été bien employées et si les méthodes de financement ont été respectées.

Auditer, c’est examiner au fond les choses et déterminer notamment là où il y a eu des mauvaises pratiques, des irrégularités ou des mauvaises gestions ; et prévoir de les corriger ou, au cas échéant, de sanctionner si ce sont des fautes.  L’audit permet aussi de déceler des bonnes pratiques à développer. Donc pour nous, ce qui s’est passé est la chose la plus normale, d’autant plus que l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat est bien habilitée pour auditer les institutions publiques. Toutes les institutions publiques peuvent être auditées soit à son initiative, soit à la demande d’une autre institution.

Qu’un audit soit, de manière exceptionnelle ou ordinaire, effectué par le biais d’une demande ou bien d’une initiative de l’ASCE-LC, pour nous, ces audits-là sont les bienvenus. Et nous avons d’ailleurs appelé à faire les audits de toutes les institutions publiques le 17 février 2022, après le coup d’Etat du Lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Nous lui avons dit que si l’on veut nettoyer les écuries, il faut d’abord faire le diagnostic. 

Que pensez-vous de l’argument d’illégalité de cet audit soulevé par  Bala Sakandé et ses avocats ? 

En fait, j’ai suivi les dires de ceux qui sont dans cette position, mais je n’ai pas encore vu quelqu’un qui montre la loi qui a été violée. Quand on dit que quelque chose est illégal, c’est qu’il y a une disposition légale qui a été violée, une loi, un texte réglementaire, en tout cas une décision préalablement connue qui fait qu’il est interdit, par exemple, à l’ASCE-LC d’auditer l’Assemblée. Personne, que ce soit les avocats, les acteurs de l’Assemblée, tout le monde crie à l’illégalité sans s’en référer à la loi. 

Personne n’argumente ou documente l’illégalité dont il est question. Or l’ASCE-LC explique les dispositions réglementaires à partir de son statut et à partir de la Constitution qui lui permettent d’auditer toute une institution, soit à la demande du chef de l’État, soit à la demande du chef du gouvernement ou bien à la demande de l’Assemblée elle-même. Dans tous les autres cas, je trouve que c’est une fausse querelle qu’on fait à l’ASCE-LC.

Dans cet audit, l’Autorité de contrôle aurait-elle pu commettre une erreur ?

Je ne peux pas très bien répondre dans le fond à cette question parce que d’abord, je ne peux pas dire que l’ASCE-LC ne peut pas commettre d’erreur. On peut faire l’audit et commettre des erreurs. On peut même faire l’audit et mal le faire ; ça aussi, c’est possible. Mais n’ayant pas participé en tant qu’acteur à l’audit, je ne peux pas me mettre dans une position et dire que l’ASCE-LC n’a commis aucune erreur dans ce processus.

Cependant, quand j’ai suivi le contrôleur général d’Etat, il a dit que toutes les formes que doivent revêtir des audits ont été respectées. C’est-à-dire que vous faites vos constats ; après le constat, vous faites un rapport provisoire que vous remettez aux intéressés qui ont un certain temps pour y répondre et lorsqu’ils répondent, vous reprenez avec leurs réponses qui permettent soit d’en tenir compte pour réaménager le rapport ou rectifier le rapport, ou encore, vous n’en tenez pas compte parce que vous estimez que les arguments qui sont avancés ne changent pas votre opinion.

Je suis très bien placé pour apprécier puisque nous sommes très habitués aux audits. Le REN-LAC, chaque année, audite ses comptes. Donc ceux qui le font une fois en passant peuvent être surpris, mais pour nous, un audit, c’est vraiment la chose la plus anodine. Donc s’il y a eu erreur, c’est possible. Je ne dis pas qu’il y a eu une erreur, je ne dis pas non plus qu’il n’y en a pas eu. Puisque l’Assemblée ne voulait pas être auditée, c’est possible aussi qu’il y ait eu des freinages ou en tout cas des velléités de s’opposer parce qu’il y a même eu une procédure en justice pour s’opposer à cet audit. Donc c’est possible que dans ce bras de fer, il y ait eu des erreurs. Mais je pense que ce sont des détails qu’il faut examiner.

Si le rapport final d’audit ne correspond pas à la vérité, ce n’est pas la dernière étape. L’Assemblée a toujours la possibilité de rebondir. Si l’audit conduit à une faute de gestion et que la Cour des comptes doit l’examiner, l’Assemblée nationale a tout le loisir de se défendre.  Si ça conduit aux fautes ou aux irrégularités du genre détournement et que ça doit passer par la justice, encore là, il y a une procédure qui sera engagée et l’Assemblée nationale ainsi que Monsieur Bala Sakandé ont tout le loisir de présenter leurs preuves et de se défendre.  

Croyez-vous au complot que dénonce Alassane Bala Sakandé ?

Je ne crois pas du tout à ce complot. Qui complote contre qui ? L’ASCE-LC est dans son rôle de contrôle. Et ensuite, on avait dit que c’était Monsieur Damiba qui voulait faire la chasse aux sorcières, mais Monsieur Damiba lui-même ayant été chassé, je ne vois pas pourquoi l’ASCE-LC va continuer à faire une chasse aux sorcières initiée par Damiba si le commanditaire lui-même n’est plus là. A moins de dire que Damiba et Ibrahim Traoré étaient dans la même logique de chasser les mêmes sorciers. Donc vraiment, cette histoire de complot, je n’y crois pas du tout ! Alors là, pas du tout.

Pensez-vous que ce soit  juste un argument ou une ruse de la part d’Alassane Bala Sakandé pour se justifier ou pour se décharger de ce qu’on lui reproche ?

Si dès le départ, l’Assemblée nationale avait été favorable à la mission d’audit, je crois que toute cette guéguerre n’aurait pas eu lieu. Maintenant, quand on cherche des arguments pour qu’il n’y ait pas d’audit, on peut toujours en trouver, mais ce n’est pas possible de s’opposer à un acte qui est complètement régulier. Si l’on veut s’y opposer, c’est ça qui va conduire à l’illégalité.

De toute façon, ce n’est pas légitime de vouloir gérer des fonds publics et de ne pas vouloir être contrôlé. Je pense qu’ils ne peuvent pas eux-mêmes défendre cette position-là. C’est pourquoi ils évoquent d’autres arguments, mais dans tous les cas, je pense qu’il faut quitter cette position, pour voir que les audits en tant qu’instrument de contrôle doivent être un instrument aussi qui instaure la confiance. Le contrôle doit renforcer la confiance entre l’Assemblée nationale et le peuple burkinabè parce que ce sont  des milliards de francs que le peuple a confiés à l’Assemblée et ils ont un devoir de redevabilité.  

Le peuple doit savoir ce qu’on a fait de ces milliards. Et si c’est bien fait, il n’y a pas de raison de craindre les audits. J’ai plutôt l’impression que les gens ont peur parce qu’ils savent qu’ils ont commis des fautes et ils ont peur que le contrôle ne révèle ces fautes. Sinon, je ne comprends pas cet acharnement à refuser d’être audité.

Quelle est votre perception de la gestion de l’hémicycle sous Bala Sakandé ?

Au REN-LAC, nous avons été approchés par l’hémicycle dans le cadre du contrôle de la gestion du “Coranathon”. Dans ce cadre, nous avons à plusieurs reprises demandé les pièces justificatives et les documents de gestion du “Coranathon”. Nous n’avons rien reçu. Nous ne pouvons donc pas faire aujourd’hui le bilan. Pourtant, nous avons officiellement reçu une lettre nous invitant à le faire. Malheureusement, nous n’avons pas pu le faire faute d’entrer en possession des documents qui permettent de le faire. Cette manière de faire veut déjà tout dire.

Les avocats de Bala Sakandé ont déclaré lors d’une conférence avoir fourni les pièces justificatives qui n’ont pas été prises en compte. Quelle appréciation faites-vous de cette déclaration ?

C’est l’ASCE-LC seule qui peut nous dire pourquoi, ayant reçu ces pièces justificatives, ils n’en n’ont pas tenu compte. Je ne peux vraiment pas vous en dire la raison. Mais si ces pièces sont arrivées en retard, ça peut être une explication. Ou même si ces pièces sont arrivées à temps et que l’examen de ces pièces ne remet nullement en cause les conclusions, cela peut aussi faire penser que l’ASCE-LC n’a pas tenu compte de ces pièces.

Pensez-vous que Bala Sakandé devrait rembourser les fonds liées aux irrégularités qui lui sont reprochées ?

Qu’allons-nous faire des résultats des audits ? Soit les parties seront acheminées vers la Cour des comptes s’il s’avère que ce sont des fautes de gestion. Soit, l’on s’achemine vers la voie judiciaire pour un jugement. C’est ce jugement qui va déterminer si Monsieur Bala Sakandé et peut-être pas lui seul, puisqu’on a nommé près d’une soixantaine de personnes, doit payer. 

Les députés individuellement pris ont été accusés et certains se sont même acquittés de leurs dettes. Mais ce n’est pas automatique ni systématique. Ce n’est pas forcément parce qu’il y a eu un audit qu’il y aura des remboursements ou  qu’il y aura des condamnations. Je ne peux pas préjuger sur la suite qui sera donnée au traitement de ces audits.

Pensez-vous qu’une poursuite judiciaire à l’endroit des mis en cause est nécessaire ?

Je ne pourrai pas répondre par oui ou non, parce que comme je l’ai dit, les rapports d’audit qui ont été faits ont des destinataires qui doivent apprécier les irrégularités qui ont été évoquées. Quel est le traitement qui sied le plus à ces irrégularités ? Si les destinataires de ces rapports estiment qu’il faut envisager des poursuites judiciaires, c’est possible. Mais encore une fois, je dis que ce n’est pas systématique, ce n’est pas automatique.

Mais s’il y a eu des audits, c’est possible qu’il y ait des poursuites judiciaires et ces poursuites judiciaires, ce n’est pas la fin du monde. Si l’on vous poursuit en justice, c’est l’occasion, d’ailleurs la plus belle, pour montrer pattes blanches qu’on n’a rien à se reprocher. Une poursuite judiciaire est toujours sous le sceau de la présomption d’innocence. Quand on poursuit quelqu’un, on suppose que cette personne n’est pas coupable. Or les gens pensent que si on vous poursuit, c’est que vous êtes déjà coupable. Ce n’est pas vrai. 

Les avocats de Bala Sakandé ont affirmé que 12 des 13 milliards FCFA d’irrégularités reprochées à leur client seraient dans les caisses de Wend-Kuni Bank international. Que pensez-vous de cette affirmation ?

Cette banque doit pouvoir disposer de liquidités et de toute façon si les écritures montrent que cette somme d’argent est là-bas, c’est qu’elle y est. On n’a pas besoin d’aller chercher à voir une caisse ou des caisses contenant 12 milliards. Si tout de suite, on veut construire l’hémicycle, des décaissements doivent se faire et cette banque-là devrait trouver les moyens pour solder les besoins financiers. Si le montant évoqué ne se trouve pas là-bas alors que dans les écritures de la banque la somme d’argent y est, c’est un autre niveau de faute.

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