
Ils étaient trois à la barre ce vendredi au tribunal de Grande instance Ouaga1 : Mamadou Traoré, Vincent Yoda et Henri Couldiaty. Ils sont accusés de coups et violences ayant entraîné la mort, en février dernier, d’un jeune homme, Abdel Aziz Traoré. Ce dernier était alors élève en première année Bac Pro au Lycée professionnel régional du centre (LPRC). Le parquet a requis sept ans de prison et une amende d’un million de francs CFA pour chaque prévenu.
Les faits se sont déroulés au quartier Zongo de Ouagadougou. Les présumés auteurs de cet homicide involontaire sont tous des hommes de tenue. Vincent Yoda est caporal. Il est célibataire et père de deux enfants. Henri Couldiaty est aussi caporal, célibataire sans enfant. Mamadou Traoré, lui, est un ancien militaire, 44 ans, célibataire et père de quatre enfants. A la barre, tous reconnaissent les faits. Notamment avoir porté des coups sur la personne d’Abdel Aziz Traoré. Ils ignoraient cependant que ces coups auraient pu entraîner la mort. Le père de la victime est lui aussi présent ce vendredi à l’audience. Profession : militaire. Grade : adjudant.
Et voici le grand déballage qui commence. 28 février 2025. Le jeune Abdel Aziz Traoré toque à la porte du Caporal Henri Couldiaty aux environs de 2h matin, selon ce dernier, pour demander à y passer la nuit. De retour de ses balades, le jeune homme aurait frappé à la porte de son domicile personnel sans succès. Le portail étant fermé et n’ayant personne pour lui ouvrir, il rebrousse chemin. Direction : domicile du Caporal Couldiaty. Ce dernier lui témoigne son hospitalité. Abdel Aziz peut donc y passer la nuit.
Mais surprise ! Aux environs de 5h du matin, le jeune homme demande au Caporal Couldiaty où se trouve sa motocyclette. Le soldat est étonné. Il fait un tour dans la maison, point de mobylette. Mais il n’y a pas que la moto qui avait “disparu”. Son téléphone portable et sa bouteille de gaz ont visiblement été emportés par les malfrats. Le caporal vérifie dans la cour. Aucune trace.
Ses idées se remettent en place. Et il réalise, en ce moment-là, que la porte de la maison était grandement ouverte lorsque Abdel Aziz l’a réveillé. Pas d’effraction. En clair, la porte n’a nullement été forcée, explique le caporal Couldiaty. Le président du tribunal lui demande où se trouvaient ses clés quand il allait dormir. “Sur la table”, répond-t-il.
Le voleur était dans la maison, se convainc M. Couldiaty. Il envoie quelqu’un appeler son ami Vincent Yoda. A deux, ils essaient de faire parler le jeune Abdel Aziz. Lorsque ce dernier s’aperçoit qu’il est démasqué, il tente de s’enfuir. Henri Couldiaty le rattrape. Il le frappe à l’aide d’une cordelette. Aidé de son ami Vincent Yoda, ils attachent les pieds du jeune homme. “Nous lui avons demandé où était le matériel volé; il a indiqué une maison inachevée”, explique le caporal Yoda. Mais “lorsque nous sommes allés au lieu indiqué, nous n’avons rien trouvé. Il a ensuite donné le nom de l’un de ses camarades, Alain Bagagnan, à qui il aurait confié la moto”
Mis au courant de l’affaire, le père de Abdel Aziz, Ousmane Traoré, appelle son frère Mamadou Traoré afin de s’enquérir de la situation. Celui-ci se rend chez le caporal Couldiaty. A la barre, Mamadou Traoré affirme avoir été brutalisé dès qu’il est arrivé sur les lieux et forcé à frapper son neveu avec un marteau.
La version de Vincent Yoda est tout autre. Il affirme être allé chez Alain Bagagnan avec son ami Couldiaty et le jeune Abdel Aziz. Sauf que là où ce dernier les a dirigés, c’était chez son oncle, Mamadou Traoré. Arrivés, Vincent Yoda demande au monsieur : “Etes-vous Alain Bagagnan ?” Il répond par la négative mais reconnaît être l’oncle d’Abdel Aziz. Là aussi, pas de moto, encore moins de bouteille à gaz ou de téléphone portable. L’oncle de Abdel Aziz décide alors d’appeler le père de ce dernier.
“Du domicile de l’oncle, nous sommes repartis avec Adel Aziz chez le caporal Couldiaty. “Quand nous sommes arrivés dans la cour, l’oncle de Adel Aziz, Mamadou Traoré, a fait des incantations autour de la cour”, racontent Yoda et Couldiaty. Il nous a ensuite dit que les affaires étaient entre les mains de son neveu, Abdel Aziz. Et que si on ne le “chauffait” pas, il n’allait pas avouer.
Les trois prévenus reconnaissent avoir donné des coups à la victime. Yoda, lui, semblait hésitant au départ. D’abord il ne reconnaît pas avoir donné de coups. Par la suite, il reconnaît lui avoir infligé une gifle. Henri Couldiaty déclare lui avoir asséné des coups de cordelette. Mais combien exactement ? Il affirme ne pas savoir.
Si Mamadou Traoré avoue avoir infligé des coups de marteau à son défunt neveu, il déclare cependant l’avoir fait sous la contrainte. Il aurait été forcé, selon lui, par les deux caporaux. Et même par quatre personnes parce qu’il y avait deux autres.
A la barre, Yoda affirme avoir demandé à ses camarades d’amener le jeune homme à la gendarmerie ou à la police. Mais rien n’y fit. Le père de Abdel Aziz aurait demandé, selon lui, au téléphone de “chauffer” son fils pour qu’il avoue. Et de ne donc pas l’amener à la gendarmerie. “Quand l’enfant a été blessé après les coups, j’ai proposé qu’on l’amène à l’hôpital”, ajoute-t-il.
La Cour fait remarquer aux trois prévenus les contradictions dans leurs déclarations à la gendarmerie et celles faites devant le tribunal.
“Les faits sont graves”, souligne le président du tribunal.
“Êtes-vous conscients que c’est parce que vous avez administré des coups au jeune homme qu’il est mort?”, interroge le parquet. “Oui”, répondent les trois prévenus.
Et le parquet de poursuivre : “Si vous regrettez ce que vous avez fait parce que votre intention n’était pas de tuer l’enfant, pourquoi ne dites-vous pas la vérité aujourd’hui ?”. Silence radio.
Des témoins ont également défilé à la barre.
Selon le parquet, Yoda reconnaît avoir été chez Couldiaty, avoir aidé à ligoter la victime, donné coups mais avec la main.
Mamadou Traoré reconnaît que la victime a été conduite chez lui. Il reconnaît aussi l’avoir frappé mais sous la contrainte. Pour le parquet, il y a eu un travail d’ensemble et l’existence de coups est une évidence.
Il n’y a pas de doute à ce niveau. Les coups ont été volontairement donnés par tous les trois, déclare le parquet. Ce qui a causé la mort.
Le parquet mentionne par ailleurs l’expertise demandée par la Cour. Il déclare : “Votre juridiction a bien fait d’ordonner une expertise”. Il souligne quelques résultats du rapport d’autopsie. Des lésions provoquées par un objet contondant, présence de coups de marteau. De plus, le rapport parle d’une mort violente. “Les coups qui lui ont été portés seraient la cause de son décès”, se convainc le parquet. Il reconnaît cependant une mort arrivée involontairement. Ils ne se sont pas entendus pour le tuer. Mais les coups mortels ayant entraîné sa mort sont suffisamment établis.
Le parquet déclare par ailleurs l’ordre donné par le père du défunt, infondé, S’adressant aux deux caporaux, il déclare : “Il n’était pas votre supérieur hiérarchique au moment des faits. Il n’y a pas lieu de retenir ici un quelconque fait justificatif”.
Aussi, Traoré Mamadou n’a jamais été forcé par les deux autres prévenus à battre l’enfant, mentionne-t-il. A ce niveau également, aucun fait justificatif ne peut être évoqué, selon le parquet.
Le parquet a requis une peine d’emprisonnement de sept ans et une amende d’un million de francs CFA le tout ferme pour tous les trois prévenus.
Les plaidoiries de la défense
Me Mamadou Sombié et un autre de ses confrères assurent la défense du prévenu Vincent Yoda. Pour eux, le père de la victime n’a pas fait ce qu’il fallait dans cette affaire. Pourquoi n’est-il pas allé immédiatement voir ce qui se passait quand on l’a informé vers 11h et avoir attendu jusqu’à 15h? Votre lenteur a été la cause des coups reçus par votre enfant
Vous auriez pu donner des ordres à vos subordonnés, les deux caporaux même au téléphone. De 6h à 18h tout ce qui est arrivé au petit, son père était au courant.
Selon Me Mamadou Sombié, son client regrette ce qu’il a fait. Il demande au tribunal de lui faire bénéficier de circonstances atténuantes. De son avis, le regretté était un enfant non canalisé par ses parents. Et s’il avait reconnu les faits, il ne serait pas mort mais jugé pour tentative de vol. “Ça fait très mal quand on est victime de ce genre de vol. Malgré les sévices que je déplore et condamne, il n’a pas voulu coopérer”, dira Me Sombié.
Selon l’avocat, l’adjudant, joint au téléphone, se rend compte que ceux qui détiennent son fils sont des caporaux. De 11h à 15h son enfant est dans les mains de soldats. Ils ont passé trop de temps à sillonner le quartier avec la victime. Le père n’a rien fait. Le caporal Couldiaty tenait à sa monture. Sans moto aujourd’hui à Ouagadougou, c’est difficile pour un soldat, ajoute Me Sombié.
Yoda lui, a passé le temps à dire “allons à la gendarmerie mais personne ne l’a écouté. Par ailleurs, Mamadou Traoré devait être celui qui ramène les deux autres à la raison”, pense l’avocat. Il ajoute que son client s’apprêtait à aller à une mission de sécurisation du pays. Cette affaire l’a bloqué. Il demande au tribunal de lui donner une chance. Il demande pardon pour son client. “Il a reconnu les faits”, dit-il. Sa place n’est pas en prison, selon la défense, mais au front pour des missions de sécurisation du territoire.
A la famille de la victime, Me Sombié déclare : “ la famille a laissé le sort de leur fils entre les mains de ses bourreaux”. La défense de Vincent Yoda a par ailleurs, déploré la mort d’Abdel Aziz Traoré et présenté ses condoléances à sa famille.
Pour elle, l’infraction de son client peut être considérée comme une infraction primaire pour un homme sans antécédent judiciaire. Il n’est ni un récidiviste ni un individu dangereux.
La défense de Henri Couldiaty a également plaidé pour des circonstances atténuantes. Elle a tenté de se mettre à la place du père du défunt. Ce n’est pas facile comme situation, a reconnu l’homme de droit. Il explique : “Lorsque j’ai échangé avec mon client, je lui ai demandé s’il était conscient de la gravité des faits. Mon rôle n’étant pas de nier les faits mais de lui faire prendre conscience de cela”. Il poursuit en disant : “Mon client ne nie pas les faits. Il ne peut même pas les nier. Mais, quand vous êtes victime de vol, vous êtes animé d’une certaine colère. Je ne cherche pas à justifier les faits de mon client mais à expliquer les choses. Le défunt a mis mon client dans un état de colère d’où les coups de cordelette”.
Au tribunal, l’avocat du caporal Couldiaty leur demande de juger son client sur la base du droit en observant les circonstances atténuantes pouvant les amener à une modération de la peine. De son avis, le simple fait que Mamadou Traoré ait participé plutôt que de les arrêter, a accentué et aggravé la situation. Aussi, l’autorité parentale a le devoir d’assurer la garde, la sécurité de l’enfant . Le père a-t-il pris la peine de comprendre le risque encouru par son enfant ? S’il avait eu une contre réaction, l’enfant ne serait pas mort. Et la défense de relever : “il ne peut pas trouver un arrangement avec quelqu’un en étant du corps militaire sans vouloir passer par les autorités. C’est qu’il reconnaît d’une certaine manière que son enfant est coupable*. De plus, trois heures de temps, de 15h à 18h, heure à laquelle l’enfant est décédé, se sont écoulées. Le sang a eu le temps de se coaguler. Ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait été amené à l’hôpital. Et comme le souligne l’autopsie, il y avait une absence de signes en faveur d’une prise en charge sanitaire récente.
Tous ces éléments exposés sont, de l’avis de la défense du caporal Couldiaty, caractéristiques de circonstances atténuantes. Cependant, l’avocat déclare : “Je ne vous demande pas de dire que mon client n’est pas coupable, il est coupable. En tant que militaire, il est contraint à des règles de discipline et il va se racheter.”
L’avocat assurant la défense de Mamadou Traoré lui a demandé au tribunal de réduire la peine de son client. “On a tenté de lui faire porter le chapeau. Il a été séquestré chez Couldiaty de 5h du matin à 15h. Les faits sont constants. M. Traoré a été forcé à lui donner des coups”.
Pour lui, le rapport est clair : ce sont les coups portés par la cordelette qui ont entraîné la mort de l’enfant. Ce ne sont pas ceux donnés par son client. Les deux autres prévenus se seraient entendus pour faire porter le chapeau à Mamadou Traoré mais leur entente n’est pas allée jusqu’au bout vu certaines contradictions dans leurs déclarations.
Ils pensaient que c’était les coups de marteau mais malheureusement le rapport a produit un autre résultat. Pour la défense de M. Traoré le marteau était chez M. Couldiaty. Ils étaient quatre contre M. Traoré et quand il est arrivé, ils l’ont poussé à l’intérieur de la maison avec un bois. Son client est un ancien militaire. Il n’est plus du corps depuis 10 ans. Il n’a plus les réflexes d’un militaire. N’eut été sous le coup de la contrainte son client n’avait aucune raison de porter des coups à son propre neveu.
“Nous vous demandons de ne pas lui infliger cela”, supplie l’avocat. Il demande au tribunal de requalifier l’infraction en coups et blessures volontaires simples, de considérer le fait que son client ait tenté de sauver l’enfant. Pour la défense, Mamadou Traoré ne voulait pas le mal de l’enfant. Il est un père de quatre enfants, socialement posé. La défense demande de lui accorder le sursis pour ce qu’il a pu faire et pour sa situation sociale.
Rappelés à la barre à l’issue des plaidoiries, les trois prévenus ont demandé pardon à la famille de la victime. Vincent Yoda a déclaré regretter amèrement ce qu’il a fait. Le délibéré sera rendu vendredi 23 mai.