
L’audience de l’affaire dite d’”escroquerie immobilière” à Banfora s’est poursuivie dans après-midi du 29 avril au tribunal de grande instance Ouaga 1. Des éléments audios ont révélé leur contenu. On peut ainsi entendre, dans lun des audios, le président du TGI de Banfora, Sidaty Yoda, parler à son co-accusé Lamine Tera : “(…) Il y a ce qu’on sait et ce qu’on se dit directement (…). Comme c’est moi-même qui ai créé cette situation, je prends l’engagement (…). Comme c’est déjà gâté (…)”.
Après avoir écouté l’audio, l’avocat du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC), Me Prosper Farama, demande à Sidaty Yoda : “Reconnaissez-vous avoir créé cette affaire?” Le prévenu affirme qu’il ne s’agit pas, dans cette audio, de l’affaire relative aux parcelles. Me Farama le prend alors au mot. Il lui demande s’il y a une deuxième affaire avec les mêmes démarcheurs. “A cette allure, est-ce qu’il n’y aurait pas une troisième affaire ? Voulez-vous nous faire comprendre qu’il ya une autre affaire entre vous à part celle des parcelles où vous essayez de dire aux autres d’endosser les responsabilités ?”, insiste l’avocat.
“Je ne peux pas répondre à votre question”, rétorque le prévenu.

Et Me Farama de rebondir : le juge Yoda confirme que l’affaire est plus grave qu’elle ne paraît. “Il fait des affaires louches avec les démarcheurs. Cet audio en est la preuve”, mentionne-t-il.
Me Mamadou Sombié (avocat des deux autres prévenus Lamine Tera et Tiga Adama Ganamé), prend la parole. Il lui demande à Tera de quelle situation il s’agit. Réponse : “Il n’y a pas une autre affaire entre nous à part celle des parcelles”. Me Sombié en conclut que Sidaty Yoda cache la vérité. Il relance Lamine Tera en ces termes : “Quand M. Yoda vous dit de prendre l’engagement et il va vous appuyer, que voulait-il dire?”. Réponse de Tera : “Je devais dire aux clients qu’il n’est pas impliqué dans l’affaire des parcelles”.
Lamine Tera avait demandé, à l’audience du 28 avril, à Sidaty Yoda de jurer sur le Coran ou même sur la Bible s’il n’était pas impliqué dans cette histoire de parcelles. “S’il accepte de le faire, je prends sur moi toutes les accusations”, avait-il souligné. Son avocat, Me Sombié a rappelé cela ce 29 avril. Il a même apporté le Coran. Il soulève un sac noir contenant le document religieux. La public éclate de rire. Et la Défense de Sidaty Yoda de relever que cela est contraire aux dispositions du Code de procédure civile.
Par la suite, l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) fait fait une observation. Au début, dit-il, Sitaty Yoda semblait n’avoir aucune attache particulière avec Lamine Tera. “Pourquoi échanger alors des dossiers de la juridiction avec des personnes extérieures ? Est-ce autorisé ?”, lance-t-il. “Cela dépend de la nature de l’information”, répond M. Yoda. Il ajoute que “ce n’est pas impossible”. Et qu’”une personne intéressée par des informations a le droit d’être informée”.
L’AJE ne se limite pas là : “En tant que magistrat, vous aviez un rôle administratif. Si l’un de vos collaborateurs faisait ces pratiques, seriez-vous d’accord ?”. Le prévenu rétorque : “De quelles pratiques parlez-vous ?”. Et il feint de ne rien comprendre.
Dans un autre audio, M. Yoda parle à Lamine Tera : “Le programme commence à prendre du temps (…) Je ne pourrai pas être là le 3 et le 4 si ce n’est le 5”. Me Sombié questionne M. Tera à ce propos : “Le président vous a-t-il envoyé cet audio parce que vous l’avez appelé pour lui demander la conduite à tenir par rapport aux personnes se plaignant à la gendarmerie?”. “Oui”, répond le prévenu.
Un autre contenu audio fait également était de conversations entre Sidaty Yoda et Lamine Tera. Yoda dit à Tera ceci : “Prendre un engagement dans ma position, c’est trop vilain. Depuis longtemps, j’explique en vain (…) Moi je préfère ça comme ça. Là, ça met tout le monde à l’aise”.
Sidaty Yoda a promis, selon le contenu de l’audio, à Lamine Tera de l’aider s’il prenait l’engagement de porter toute la responsabilité de l’affaire concernant la vente des parcelles et des fonds qui en ont résulté.
L’avocat du REN-LAC affirme être abasourdi par ce qu’il a entendu dans l’audio. “Un président de Tribunal de grande instance n’est pas n’importe qui.
M. Yoda demande ainsi de ne pas l’impliquer. Alors, de deux choses l’une : soit il est impliqué et il demande de le mettre à l’écart, soit il n’est pas impliqué (…)”, fait remarquer l’avocat. Le prévenu, lui, refuse de répondre à ce niveau.
Les audios sont émis dans deux langues : français mélangé à du dioula. Cela conforte la thèse selon laquelle le président du TGI de Banfora comprend bel et bien dioula contrairement à ce qu’il a fait croire à la Cour au début du procès.
“J’ai remis l’argent à mon fils pour garder”
Concernant les faits de blanchiment de capitaux dont les trois personnes sont accusées, le président du tribunal veut connaître le montant gagné par chacun et ce qu’il en a fait. Tera Lamine déclare avoir obtenu un peu plus de 500 000 FCFA.
“Qu’avez-vous fait avec ?”, demande le président du tribunal. Il dit avoir utilisé les sous pour le carburant ayant servi à ses courses. Le président s’étonne et demande à M. Tera : “Savez-vous que dans cette affaire, ils ont empoché plus de 100 millions de francs ? Et vous, vous n’avez eu que 500 000 ?”
L’une des victimes, Souleymane Lallogo, demande la parole et tente d’expliquer au tribunal. Lamine Tera a eu, selon lui, plus que ce qu’il déclare à la barre. Il affirme avoir lui-même remis 300 mille à Tera comme commission dans l’achat de sa parcelle.
A son tour, Tiga Adama Ganamé affirme n’avoir pas reçu plus d’un million de francs CFA. Le parquet lui demande comment se fait le partage entre les démarcheurs quand ils vendent un terrain. “Certains peuvent avoir 150 mille, 160 mille et d’autres 200 mille”, affirme-t-il.
Le ministère public fait remarquer que 18 parcelles ont été vendues dans cette affaire pour un total de 108 millions de francs CFA. Le parquet poursuit : “Sur les 108 millions encaissés, vous n’avez eu qu’un million ? Combien de démarcheurs étiez-vous ?”. Il répond : “Nous étions cinq.” Le parquet fait un calcul rapide pour se rendre compte que 10% de 108 millions donne 10 millions 800 mille. Si cette somme est partagée entre cinq personnes, chacune a au moins deux millions.
“C’est exact ! Excusez-moi beaucoup”, répond M. Ganamé. Il avoue s’être trompé. Son conseil vole à son secours en relevant qu’il a été assiégé de questions. Ce qui l’a quelque peu embrouillé.
A la question de savoir où il a mis l’argent gagné, il déclare : “J’ai donné l’argent à mon fils de garder.” Pourquoi ? Lui demande le président. “Comme nous l’avons eu facilement…”. La suite de ses propos est presque inaudible. Mais le sieur Tiga Adama Ganamé semblait dire : “cet argent pourrait nous créer des problèmes”. Par la suite, il lui a été demandé s’il savait, depuis le début, que les parcelles étaient des parcelles à problèmes. Il répond par la négative.
Le principal prévenu, Sidaty Yoda, lui, rejette tout et nie avoir reçu de l’argent de Tera. Ce dernier communique alors certaines informations à la Cour. Selon lui, Sidaty Yoda a, entre autres, construit, acheté une autre parcelle et changé de voiture. “C’est en ce moment que j’ai su que l’argent n’était pas pour la justice. Il m’a même montré la photo de la maison”, affirme Tera.
L’audience a été suspendue. Elle reprend ce mercredi matin.