
Ils étaient trois à la barre ce vendredi au tribunal de Grande instance Ouaga 1 : le Caporal Vincent Yoda le Caporal Henri Couldiaty et Mamadou Traoré, ancien militaire. Ils sont accusés de coups et blessures ayant entraîné la mort d’un jeune homme, Abdel Aziz Traoré. Ce dernier était alors élève en première année Bac Pro au Lycée professionnel régional du Centre (LPRC). Le parquet a requis sept ans de prison fermes et une amende ferme d’un million de francs CFA pour chaque prévenu.
Les faits se sont déroulés, en février dernier, au quartier Zongo de Ouagadougou. A la barre, les présumés auteurs de l’homicide involontaire reconnaissent les faits : avoir porté notamment des coups sur la personne d’Abdel Aziz Traoré. Ils ignoraient cependant que ces coups entraîneraient la mort. Le père de la victime, Ousmane Traoré, est lui aussi présent ce vendredi à l’audience. Profession : militaire. Grade : adjudant.
Et voici le grand déballage qui commence. 28 février 2025. Le jeune Abdel Aziz Traoré toque à la porte du Caporal Henri Couldiaty aux environs de 2h matin, selon ce dernier, pour demander à y passer la nuit. De retour de ses balades, le jeune homme aurait frappé à la porte de son domicile personnel sans succès. Le portail étant fermé et n’ayant personne pour lui ouvrir, il rebrousse chemin. Direction : domicile du Caporal Couldiaty. Ce dernier lui témoigne son hospitalité. Abdel Aziz peut donc y passer la nuit.
Mais surprise ! Aux environs de 5h du matin, le jeune homme demande au Caporal Couldiaty où se trouve sa motocyclette. Le soldat est étonné. Il fait un tour dans la maison, point de mobylette. Mais il n’y a pas que la moto qui avait “disparu”. Son téléphone portable et sa bouteille de gaz ont visiblement été emportés par des malfrats. Le caporal vérifie dans la cour. Aucune trace.
Lorsque ses idées se remettent en place, il réalise que la porte de la maison était grandement ouverte lorsque Abdel Aziz l’a réveillé. Pas d’effraction. En clair, la porte n’a nullement été forcée, explique le caporal Couldiaty. Le président du tribunal lui demande où se trouvaient ses clés quand il allait dormir. “Sur la table”, répond-t-il.
Le voleur était dans la maison, se convainc M. Couldiaty. Il envoie quelqu’un appeler son ami, le Caporal Vincent Yoda. A deux, ils essaient de faire parler le jeune Abdel Aziz. Lorsque ce dernier s’aperçoit qu’il est démasqué, il tente de s’enfuir. Henri Couldiaty le rattrape. Il le frappe à l’aide d’une cordelette. Aidé par son ami Vincent Yoda, ils ligotent le jeune homme. “Nous lui avons demandé où était le matériel volé; il a indiqué une maison inachevée”, explique le caporal Yoda. Mais “lorsque nous sommes allés au lieu indiqué, nous n’avons rien trouvé. Il a ensuite donné le nom de l’un de ses camarades, Alain Bagagnan, à qui il aurait confié la moto”.
Mis au courant de l’affaire, le père de Abdel Aziz, l’adjudant Ousmane Traoré, appelle son frère, l’ancien militaire Mamadou Traoré, afin de s’enquérir de la situation. Celui-ci se rend chez le caporal Couldiaty. A la barre, Mamadou Traoré affirme avoir été brutalisé dès qu’il est arrivé sur les lieux et forcé à frapper son neveu avec un marteau.
La version du Caporal Vincent Yoda est tout autre. Il affirme être allé chez Alain Bagagnan avec son ami Couldiaty et le jeune Abdel Aziz. Sauf que là où ce dernier les a dirigés, c’était chez son oncle, Mamadou Traoré. Arrivés, le Caporal Yoda demande au monsieur : “Etes-vous Alain Bagagnan ?” Il répond par la négative mais reconnaît être l’oncle d’Abdel Aziz. Là aussi, pas de moto, ni de bouteille à gaz et de téléphone portable. L’oncle de Abdel Aziz décide alors d’appeler le père de ce dernier.
“Du domicile de l’oncle, nous sommes repartis avec Adel Aziz chez le caporal Couldiaty. “Quand nous sommes arrivés dans la cour, l’oncle de Adel Aziz, Mamadou Traoré, a fait des incantations autour de la maison ”, racontent Yoda et Couldiaty. Il nous a ensuite dit que les affaires étaient entre les mains de son neveu Abdel Aziz. Et que si on ne le “chauffait” pas, il n’allait pas avouer.
Les trois prévenus reconnaissent avoir infligé des coups à la victime. Yoda, lui, semblait hésitant au départ. D’abord il ne reconnaît pas avoir donné de coups. Par la suite, il reconnaît lui avoir infligé une gifle. Henri Couldiaty déclare lui avoir asséné des coups à l’aide d’une cordelette. Mais combien de coups exactement ? Il affirme ne pas s’en rappeler.
Si Mamadou Traoré avoue avoir infligé des coups de marteau à Abdel Aziz, il déclare cependant l’avoir fait sous la contrainte. Il aurait été forcé, selon lui, par les deux caporaux et les autres personnes présentes.
Le Caporal Yoda affirme avoir demandé à ses “camarades” d’amener le jeune homme à la gendarmerie ou à la police. Mais rien n’y fit. Et il ajoute que le père de Abdel Aziz aurait demandé au téléphone de “chauffer” son fils pour qu’il avoue. Et de ne pas l’amener à la gendarmerie. “Quand l’enfant a été blessé après les coups, j’ai proposé qu’on l’amène à l’hôpital”, ajoute-t-il.
“Les faits sont graves”, souligne le président du tribunal. “Êtes-vous conscients que c’est parce que vous avez administré des coups au jeune homme qu’il est mort ?”, interroge le parquet. “Oui”, répondent les trois prévenus.
Et le parquet de poursuivre : “Si vous regrettez ce que vous avez fait parce que votre intention n’était pas de tuer l’enfant, pourquoi ne dites-vous pas la vérité aujourd’hui ?”. Silence radio.
Selon le parquet, le Caporal Yoda reconnaît avoir été chez Couldiaty, avoir aidé à ligoter la victime, infligé des coups mais avec la main.
Mamadou Traoré reconnaît que la victime a été conduite chez lui. Il reconnaît aussi l’avoir frappé mais sous la contrainte. Pour le parquet, c’est une “œuvre collective. L’existence de coups est une évidence. Les coups ont été volontairement donnés par les trois. Et cela a causé la mort de Adel Aziz Traoré”.
Le parquet fait ensuite état d’une expertise demandée par la Cour : “Votre juridiction a bien fait d’ordonner une expertise”. Il évoque ainsi les résultats d’un rapport d’autopsie : des lésions provoquées par un objet contondant, présence de coups de marteau. De plus, le rapport parle d’une mort violente. “Les coups qui lui ont été portés seraient la cause de son décès”, se convainc le parquet. Il reconnaît cependant une mort arrivée involontairement. “Ils ne se sont pas entendus pour le tuer. Mais les coups mortels ayant entraîné sa mort sont suffisamment établis”, dit-il.
Et concernant l’ordre donné par le père du défunt, le parquet estime que cet argument est infondé. Et à ce sujet, il s’adresse aux deux caporaux : “Le père de Adel Aziz Traoré, l’adjudant Mamadou Traoré, n’était pas votre supérieur hiérarchique au moment des faits. Il n’y a pas lieu de retenir ici un quelconque fait justificatif”.
Aussi, l’adjudant Traoré n’a jamais été forcé par les deux autres prévenus à battre l’enfant, mentionne-t-il. A ce niveau également, aucun fait justificatif ne peut être évoqué, selon le parquet.
Le ministère public a ainsi requis sept ans de prison ferme et une amende ferme d’un million de francs CFA contre les trois prévenus.
Plaidoiries de la défense
Me Mamadou Sombié et un autre de ses confrères assurent la défense du prévenu Vincent Yoda. Pour eux, le père de la victime ne s’est pas bien comporté dans cette affaire. Pourquoi n’est-il pas allé immédiatement voir ce qui se passait quand il a été informé vers 11h ? Pourquoi avoir attendu jusqu’à 15h? “Votre lenteur a été la cause des coups reçus par votre enfant. Vous auriez pu donner des ordres à vos subordonnés, les deux caporaux, même au téléphone. De 6h à 18h tout ce qui est arrivé au petit, son père était au courant”, affirment les avocats.
Selon Me Sombié, son client regrette ce qu’il a fait. Il demande au tribunal de lui faire bénéficier de circonstances atténuantes. “Le regretté était un enfant non canalisé par ses parents. Et s’il avait reconnu les faits, il ne serait pas mort mais jugé pour tentative de vol”, a déclaré l’avocat. Selon lui, ça fait très mal quand on est victime de ce genre de vol. Et, malgré les sévices qu’il déplore et condamne, il ajoute : “Abdel Aziz n’a pas voulu coopérer”.
Pour Me Sombié, lorsque l’adjudant Ousmane Traoré a été joint au téléphone par Mamadou Traoré, il s’est rendu compte que ceux qui détiennent son fils avaient le grade de caporal. De 11h à 15h, son enfant est resté dans les mains de soldats. “Ils ont sillonné le quartier avec la victime. Mais le père n’a rien fait”, dit-il. Selon l’avocat, le caporal Couldiaty tenait à sa monture car, sans moto aujourd’hui à Ouagadougou, c’est difficile pour un soldat.
“Le caporal Yoda, lui, a passé le temps à dire ‘allons à la gendarmerie’, mais personne ne l’a écouté”, explique l’avocat. Qui ajoute que “Mamadou Traoré devait être celui qui ramène les deux autres à la raison”. Me Sombié précise que son client s’apprêtait à aller à une mission de sécurisation du pays. Et que cette affaire l’a bloqué. Il demande au tribunal de lui donner une chance. Il demande donc pardon au nom de son client. “Il a reconnu les faits”, dit-il. Sa place n’est pas en prison, selon la défense, mais au front pour des missions de sécurisation du territoire.
La défense de Caporal Yoda déplore la mort d’Abdel Aziz Traoré et présente ses condoléances à la famille éplorée.
Et elle souligne, avec force, que l’infraction de son client peut être considérée comme “une infraction primaire”, la Caporal Yoda n’ayant aucun antécédent judiciaire. “Il n’est ni un récidiviste ni un individu dangereux”, insistent les avocats de la défense.
Les Conseils de Henri Couldiaty ont également plaidé pour des circonstances atténuantes. Ils ont tenté de se mettre à la place du père du défunt. Ce n’est pas facile comme situation, reconnaît l’homme de droit. Il avoue avoir demandé à son client s’il était conscient de la gravité des faits. Son rôle n’étant pas de nier les faits mais de faire prendre conscience de cela au soldat. Pour lui, son client “ne nie pas les faits. Il ne peut même pas les nier. Mais étant victime de vol, il était animé d’une certaine colère”. L’avocat dit ne pas chercher à justifier les faits de son client mais à expliquer la situation. Selon lui, Abdel Aziz a mis son client dans un état de colère d’où les coups de cordelette.
L’avocat du caporal Couldiaty demande au tribunal de juger son client sur la base du droit. Et en tenant compte des circonstances atténuantes pouvant conduire à une modération de la peine. Selon lui, le simple fait que Mamadou Traoré ait participé plutôt que de les arrêter, a accentué et aggravé la situation. Aussi, l’autorité parentale avait le devoir d’assurer la garde, la sécurité de l’enfant. Le père n’a pas pris la peine de comprendre le risque encouru par son enfant, se convainc l’homme de droit. Pour lui, s’il avait eu une contre-réaction, l’enfant ne serait pas mort.
Le Conseil du caporal Couldiaty relève par ailleurs le temps mis pour secourir l’enfant. Trois heures de temps, de 15h à 18h, heure à laquelle l’enfant est décédé. Ce ne serait pas le cas s’il avait été conduit à l’hôpital, fait-il remarquer.
Il en conclut que sont client “est militaire, qu’il est contraint à des règles de discipline et qu’il va se racheter”.
L’avocat de Mamadou Traoré, lui, demande au tribunal de “réduire la peine de son client à qui les autres prévenus ont tenté de faire porter le chapeau”. “lls pensaient que les coups de marteau étaient la cause du décès mais le rapport a produit un autre résultat”.
Selon lui, le rapport est clair : ce sont les coups portés par la cordelette qui ont entraîné la mort de l’enfant. Ce ne sont pas ceux donnés par son client.
Il explique le temps de séquestration de la victime chez le caporal Couldiaty : de 5h du matin à 15h. Pour lui, les faits sont constants et nul doute que Mamadou Traoré a été forcé de donner des coups au défunt.
Pour la défense de M. Traoré, le marteau utilisé par son client était chez M. Couldiaty. Et ils étaient quatre contre Mamadou Traoré qu’ils ont brutalisé.
Son client est certes un ancien militaire, mais il n’est plus du corps depuis plus de dix ans. Il n’a donc plus les réflexes d’un militaire. Si ce n’est parce qu’il était sous l’effet de la contrainte, son client n’aurait aucune raison de porter des coups à son propre neveu, dit-il.
Il demande donc au tribunal de requalifier l’infraction en coups et blessures volontaires simples et de considérer le fait que son client ait tenté de sauver l’enfant. Pour son Conseil, Mamadou Traoré ne voulait pas le mal de l’enfant. Il est père de quatre enfants, socialement posé. La défense demande de lui accorder le sursis car il a tenté de sauver l’enfant. Et tenant compte de sa situation sociale.
Rappelés à la barre à l’issue des plaidoiries, les trois prévenus ont demandé pardon à la famille de la victime. Le caporal Vincent Yoda affirme “regretter amèrement” ce qu’il a fait. Le dossier est mis en délibéré pour le 23 mai.