
Le procès sur l’affaire dite du “président du tribunal de grande instance de Banfora” est en cours ce mercredi au tribunal de grande instance Ouaga 1. Dès l’entame, un rapport concernant des dépôts par mobile money sur les numéros de Sidaty Yoda est communiqué à la Cour. Il y a eu ensuite les réclamations du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC) représenté par Me Prosper Farama, de l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), de l’avocat de la partie civile et du Parquet. Selon Me Farama, Sidaty Yoda a fait le choix de se comporter “en délinquant et d’assumer sa délinquance”. Le REN-LAC qui s’est constitué partie civile, demande un franc symbolique et un million de francs CFA comme frais exposés non compris dans les dépens. Le parquet, lui, a requis des peines de prison et des amendes.
Me Farama a rappelé au tribunal le statut de Sidaty Yoda. Un juge, de surcroît l’un des premiers responsables du TGI de Banfora. Tout le monde commet des erreurs, dit-il. Mais M. Yoda est issu de la maison commune à tous les acteurs de la justice burkinabè. Et, partant, à tous les Burkinabè. Son acte n’est donc pas juste une simple erreur, relève l’avocat.
Selon lui, c’est par négligence, par esprit de cupidité que Sidaty Yoda a succombé à la tentation. “Il s’agit, dit-il, de la pure délinquance que l’on puisse imaginer”. Parlant des charges, elles sont bien plus, affirme Me Farama, précisant que M. Yoda “falsifie des décisions de justice”.

Selon l’analyse de Me Farama, il s’agit “d’un escroc”. Ce qu’il a fait, dit-il, c’est du braquage, de l’abus de pouvoir (il utilise son pouvoir pour suborner les témoins). “C’est un personnage animé d’un esprit malicieux pour brimer ses concitoyens. Nous sommes révoltés”, lance Me Farama.
Pour lui, Sidaty Yoda devrait avoir l’humilité de reconnaître qu’il s’est trompé, essayer de se justifier et demander pardon. Mais il ne l’a pas fait. De plus, il le trouve très arrogant vis-à-vis des autres prévenus et des victimes. “Il se croit tellement malin. Il croit qu’il peut tromper tout le monde parce qu’il a appris le droit à l’école, déplore l’avocat.
Dans sa position de président du tribunal de grande instance de Banfora, M. Yoda “trouve des parcelles, fabrique des actes de vente, encaisse de l’argent, délivre des ordonnances dans des circonstances frauduleuses. Il est le seul juge impliqué dans les ordonnances mises en cause dans cette affaire”. Ces ordonnances sont établies de façon intentionnelle dans le but de frauder, fait observer l’avocat.
Me Farama évoque, à ce sujet, l’article 621-1 sur la définition du stellionat. Et il ajoute ceci : “Si vous aliénez un bien immobilier, vous êtes auteur de stellionat. Les prévenus ici présents ont tous posé des actes matériels; les parcelles ont été aliénées; elles ont été vendues, des ordonnances autorisant la mutation de certaines d’entre elles ont été émises. Ce qui constitue une infraction”. Selon Me Farama, les prévenus avaient conscience que les terrains n’étaient pas leur propriété. Tous trois savaient que ces terrains appartenaient à d’autres personnes.
Tera et Ganamé “ont participé au coup”, dit-il. Certes, ils n’ont pas posé d’actes d’aliénation. En dernier ressort, c’est le président Sidaty Yoda qui l’a fait. Cependant, ils en ont été complices. Puisque ce sont eux qui “identifient les terrains, amènent les clients, vendent, récupèrent l’argent et le remettent à M. Yoda”.
Selon Me Farama, M. Tera avait particulièrement conscience dès le départ de la situation des parcelles parce qu’il est l’ami de Sidaty Yoda. Il est intervenu auprès de Yoda pour des dossiers. “On ne fait pas de démarchage auprès des juges”, lance Me Farama.
Lamine Tera est, selon lui, de ceux que l’on pourrait appeler les “Margouillats du Palais”. Parlant de Ganamé, il rappelle des propos à travers lesquels il disait avoir peur. Cela parce qu’il savait l’affaire louche. “Comment la justice peut-elle vendre des parcelles et tout Banfora n’est pas au courant?”, s’interroge Me Farama.
L’homme de droit trouve que le cerveau de cette affaire, c’est M. Yoda. Selon lui, si ce dernier a été nommé président d’une juridiction, c’est parce qu’il a des compétences intellectuelles. Il l’invite cependant à ne pas croire que c’est parce qu’il nie qu’il n’y a pas de preuves. Pour un juriste, c’est une erreur, estime-t-il.
Parlant de son ami Abdoulaye Sanou venu de Bobo pour le secourir, Me Farama dira : “Il m’a le plus marqué. Il aurait pu se retrouver dans une situation pas très enviable. Parce qu’il est venu aider son ami qui est dans la délinquance. Ça lui servira de leçon. Il faut que dorénavant, il choisisse bien ses amis” Et il réitère que M. Yoda est prêt à noyer son ami en l’accusant.
Sidaty Yoda a reçu 80 millions FCFA entre 2023 et 2024 par Orange money
“C’est un téléphone que j’utilise avec d’autres personnes”, affirme Sidaty Yoda. Quand on décortique le relevé des transactions, 80 millions comme chiffre d’affaires, on peut avancer, selon Me Farama, que Sidaty Yoda est un affairiste.
“Des gens qu’il ne connaît pas et dont il n’a pas les numéros utilisent son portable, son portefeuille électronique et son code. Et il veut nous faire avaler cela”, se désole Me Farama d’un air moqueur.
“La personne que j’ai vu ici, à travers sa narration, son attitude avec les victimes, a fait le choix de se comporter en délinquant et d’assumer sa délinquance”, ajoute-t-il.
Me Farama demande au tribunal de tenir compte de tous ces éléments. Il avoue qu’au sein de la Justice, il y a des brebis galeuses. Il invite donc le tribunal à donner à l’opinion la réelle image de la justice.
Et il adresse un message aux Burkinabè : “Nous sommes cupides, surtout en matière de parcelles. Quand une affaire n’est pas claire, n’entrons pas dedans”.
Le REN-LAC a demandé 1 franc symbolique en réparation du préjudice moral et 1 million de francs CFA au titre des frais exposés non compris dans les dépens.
Les résultats des dépôts reçus sur les numéros de Sidaty Yoda font ressortir la somme de 80 millions de francs CFA entre 2023 et 2024. Mais l’intéressé insiste sur le fait que tout cet argent ne lui était pas destiné. Car il partageait, selon lui, ses numéros avec d’autres personnes. Mais lorsqu’on lui demande qui sont ces gens et s’il a leur numéro de téléphone, le prévenu semble perdre la mémoire. Il affirme qu’il ne s’en souvient plus et n’a pas les numéros. Il tente de faire croire à la Cour qu’une partie des fonds est issue de son activité de vente de céréales par personne interposée.
Certaines victimes réclament leurs parcelles, d’autres leur argent. L’Agent judiciaire de l’Etat (AJE), lui, estime que l’image de la Justice a été ternie dans cette affaire. Comme dit l’adage, “un seul âne mange la farine et c’est la gueule de tous les ânes qui devient blanche”. Il rappelle qu’un magistrat devrait s’abstenir de tout comportement visant à altérer son indépendance. “M. Yoda a terni l’image de tous les acteurs de la justice. Il a rendu justice à son profit personnel”, a-t-il déclaré. L’État demande donc réparation. Il demande de rétablir à la Justice tout son honneur.
Pour lui, tout est clair : il s’agit d’une entreprise à trois qui consistait à rechercher, identifier et se faire passer propriétaires des parcelles pour ensuite les vendre. Il souligne l’infraction de stellionat entièrement établi à l’endroit de M Yoda. Et demande de rétablir l’administration judiciaire dans son honneur, dans son image pour montrer que ce n’est pas cela la justice.
Au titre de la réparation du préjudice subi, l’AJE a demandé 1 franc symbolique et 500 000 FCFA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
L’avocat de la partie civile, lui, a demandé au président du tribunal de garder en mémoire les regards des victimes, lors de son délibéré. “J’y ai vu la peur, mais je les ai rassurés parce que pour moi, l’œuvre de justice, c’est aussi une œuvre d’assainissement intérieur.”
Il ajoute que le tribunal va juger un pair. Aussi, a-t-il souligné, avant d’être une décision, la justice est un symbole. Selon lui, si M. Yoda avait reconnu son tort, tous ces acteurs seraient repartis avec un sentiment apaisé. Mais il n’a pas reconnu, il a tout nié, simplement parce qu’il ne peut rien reconnaître à moitié sans reconnaître tout le reste. Il est enfermé dans sa propre stratégie d’où il ne peut en sortir, pense l’avocat de la partie civile.
“Vous avez même interpellé sa conscience en lui rappelant la situation matrimoniale de ses deux co-accusés mais il est resté droit dans ses bottes”, a-t-il rappelé au président du tribunal.
L’avocat de la partie civile a remis au tribunal la liste de ses réclamations. Il a demandé que la condamnation soit solidaires pour les prévenus.
Le parquet, lui, a requis contre le prévenu Sidaty Yoda, qu’il soit reconnu coupable des faits de stellionat et de blanchiment de capitaux. Il recommande une peine d’emprisonnement de 48 mois dont 24 mois fermes et 2 millions de francs CFA d’amende ferme.
A l’endroit des prévenus Lamine Tera et Tiga Adama Ganamé, le parquet a requis qu’ils soient déclarés coupables des faits de stellionat et de blanchiment d’argent. Il requiert une peine d’emprisonnement de 36 mois dont 18 mois fermes et 1 million CFA d’amende ferme pour chacun.